L’ordre des médecins face aux professionnels prédateurs sexuels
Gilbert TORDJMAN 1927 - 2009
RÉDACTION Bernard COADOU pour le MIOP – 14 mars 2021
Gilbert TORDJMAN nait le 19 juillet 1927 à Oran (Algérie). Devenu docteur en médecine, puis diplômé d’études de gynécologie et pédiatrie, il exerce d’abord la médecine générale. Installé à Paris, il fait partie, avec une dizaine d’autres médecins, d’un groupe Balint réuni autour d’un psychanalyste dans les années 1960. Pendant deux ou trois ans, le thème de discussion du groupe est « Le Conflit conjugal ». Il se dirige de plus en plus vers la sexologie pour répondre à une demande croissante de ses patient-e-s. Il souligne alors que « beaucoup de nos maladies ont une racine sexuelle ».
Ses premiers travaux scientifiques datent de 1960. En 1974, au cours du premier congrès mondial de sexologie à Paris, la Société Française de Sexologie Clinique est fondée, G. T. est élu secrétaire général.
L’année suivante, en 1975, l’unique revue française de sexologie médicale est créée: les Cahiers de Sexologie Clinique, il en devient le rédacteur en chef.
Il est connu à la fois en France et au-delà. Il écrit de nombreux ouvrages sur la sexualité. Toutes ses publications remportent un grand succès.
Il apparaît comme homme de dialogue qui participe à de nombreux débats, livrant des informations, des conseils et des explications facilement intelligibles. En 1973, il publie son premier ouvrage avec Christiane VERDOUX, Jacqueline KAHN- NATHAN et Jean COHEN : « Encyclopédie de la vie sexuelle : de la physiologie à la psychologie », qui s’attache à informer sur la sexualité en fonction de chaque tranche d’âge.
Il utilise de plus en plus l’Hypnose dans sa pratique et va écrire en 1977 : "Comment comprendre l'hypnose ses réussites ses limites ses espoirs" puis en 1995 :"Le plaisir retrouvé par l’hypnose".
En 1998, son avant dernier livre (le 24°) : « Le livre de bord de la vie sexuelle », encore co- signé avec Christiane VERDOUX, Jacqueline KAHN-NATHAN et Jean COHEN, aborde la sexualité sous deux perspectives, scientifique et relationnelle. Divisé en quatre chapitres, le livre nous informe notamment sur les organes génitaux, la reproduction, le désir, les zones érogènes, la grossesse, la contraception et les problèmes liés à la sexualité comme les maladies sexuellement transmissibles.
Il participe à près de 80 émissions sur des chaînes de télévision publique entre 1976 et 1996, collabore régulièrement pendant plus de dix ans à l’émission « Aujourd’hui Madame » et devient l’intervenant régulier de plusieurs émissions radiophoniques.
Il a été longtemps considéré comme le « Pape de la Sexologie » en France, après avoir introduit dans notre pays cette discipline importée des Etats Unis.
Les ennuis judiciaires de Gilbert TORDJMAN
Il a été accusé d’agressions sexuelles par de nombreuses patientes.
Le premier témoignage d'une victime de ses dérapages date de 1983. Il fut publié sous forme d'un long texte intitulé «L'horreur derrière la porte» dans la revue «Psychologies». Anne (= prénom modifié) raconta comment sa thérapie avec G.T. se termina à l'hôtel et comment il profita de son statut de médecin pour nouer une relation sexuelle avec elle, la détruisant psychologiquement. Dans ce texte, le nom du Docteur Tordjman n'était pas mentionné. «C'était impensable à l'époque» dit Anne . «Cela s'était passé en 1978. J'ai mis cinq ans à m'en remettre et quatre ans avant d'accepter d'en parler. »
Pour Béatrice, cela se passe en 1988, elle a alors 44 ans. G.T. au fil des séances, lui caresse le clitoris et se masturbe contre elle. « Je ne savais pas ce qu'un sexologue avait le droit de faire. Il me disait : "Si vous ne voulez pas le faire, vous n'y arriverez jamais."
En 1991, c'est Caroline, 45 ans, qui raconte ainsi les séances de laser : « Vous êtes nue sur une table, les jambes écartées, avec un laser sur le sexe, et il vous demande de faire l'amour en mimant des gémissements. Pendant ce temps, il me caressait les seins, le ventre et le sexe. J'étais désespérée et totalement honteuse. Ensuite commencent les séances de masturbation profonde, sans gants, avec une projection de film porno censé faire écho à vos fantasmes. »
Les témoignages se répètent ainsi au fil des années. Le scénario est pratiquement le même : projection de films pornographiques, séances de laser, d'hypnose, puis masturbation des patientes, parfois de lui-même, enfin, pour certaines, pénétration sexuelle. Des actes évidemment interdits par le Code de déontologie médicale, mais aussi par le Code pénal, ces pratiques étant aggravées par l'autorité qu'avait Gilbert Tordjman sur ses patientes.
Pour se justifier, GT, alors célèbre sexologue, consacre en 2001 l'éditorial de sa revue
« Les Cahiers de sexologie clinique » à cette affaire : « Entre geste diagnostique ou thérapeutique et geste sexuel, ou interprété comme tel, la limite peut être difficile à trancher pour quelques patientes fragilisées et endoctrinées (...). Les examens que nous pratiquons chez ceux qui nous consultent pour un dysfonctionnement sexuel conservent un caractère strictement médical. » En clair, les victimes n'auraient pas compris : elles auraient confondu toucher vaginal et masturbation. Mais, sur ce point, les médecins ou sexologues interrogés sont unanimes : aucune ambiguïté n'est possible. Comme l'a écrit Nadine GRAFEILLE, sexologue, dans la revue Sexologies : « L'examen clinique reste toujours médical (...) et tout geste déplacé doit être considéré comme contraire à l'éthique. Explorer ne veut pas dire caresser, masturber, exciter, tripoter ».
C'est Sylvie P., petite femme blonde et dynamique de 45 ans, qui a déclenché la tourmente. En mars 1999, elle consulte avec son mari pour une absence de libido. « J'ai été voir Tordjman parce que c'était quelqu'un de très réputé. Nous connaissions ses ouvrages. J'étais en totale confiance. » Mais, dès le début, la main posée par Gilbert Tordjman sur son ventre, très près de son pubis, la choque, tout autant que les propos d'une rare grossièreté qu'il lui murmure à l'oreille. Et puis, au cours des sept séances en tête à tête, entre février et mai 199, avec hypnose, la situation s'aggrave. «Il m'a léché les seins, introduit plusieurs doigts dans le vagin. J'étais perdue, je ne savais pas quoi faire.» Après avoir avoué à son mari ce qu'elle a subi, elle se rend au conseil départemental de l'ordre des médecins de la Ville de Paris pour porter plainte. Entre-temps, la femme du docteur Tordjman lui téléphone, la suppliant de ne rien révéler, évoquant les problèmes cardiaques de son mari. « Elle a tout essayé, mais j'ai tenu bon et nous nous sommes retrouvés devant le conseil régional, où j'ai assisté à une véritable parodie de justice. »
Gilbert Tordjman ne va écoper que d'un blâme, pas pour les actes commis sur sa patiente, mais pour avoir enfreint le secret professionnel en révélant à sa femme ce qui s'était passé : «Aucune faute déontologique n'apparaît démontrée en ce qui concerne les paroles et les gestes obscènes auxquels se serait livré le docteur Tordjman », rapporte le journal Le Parisien citant le Conseil de l'ordre. En revanche, l'instance disciplinaire des médecins reproche au sexologue d'avoir levé le secret médical en laissant son épouse (qui est sa « co-thérapeute»), entrer en contact avec Sylvie P. Et, Mme Tordjman, psychologue de formation, n'est pas médecin. L'épouse du sexologue aurait en fait cherché à entrer en contact avec la patiente après que celle-ci eut déposé sa plainte au Conseil de l'ordre, pour la convaincre de renoncer, arguant du fait que son mari, âgé aujourd'hui de soixante-douze ans, souffrait de problèmes cardiaques et qu'une telle affaire pouvait discréditer la famille Tordjman...
Interrogé par Le Monde, Gilbert Tordjman estime que le blâme du Conseil de l'ordre l' « innocente totalement » des faits reprochés par Sylvie P. Concernant l'ouverture d'une information judiciaire, il affirme n'avoir « aucun commentaire à faire ».
Sylvie P. fait appel, ainsi que le ministère de la Santé. La chambre disciplinaire nationale du conseil de l'ordre des médecins, le 13 juin 2001, le sanctionne d’un mois de suspension d'exercer. Mais le motif est toujours pour violation du secret professionnel et non pour abus sexuel.
En revanche, la publicité faite autour de cette condamnation va faire se regrouper les victimes au sein de l'ANCAS (Association nationale contre les abus sexuels commis par les professionnels de santé) et plusieurs d'entre elles décident de porter l'affaire au pénal. Le 13 mars 2002, la mise en examen pour viol tombe.
Le 4 juin 2002, cette mise en examen va être complétée par un contrôle judiciaire et une interdiction d’exercer, «afin d'éviter tout risque de renouvellement de l'infraction ». La juge Corinne GOETZMANN précise les soupçons qui pèsent sur lui, même s’il est présumé innocent...Les plaintes d’anciennes patientes de GT, 75 ans, se sont multipliées pour atteindre la quarantaine. Elles ont déposé leurs témoignages auprès de la Juge d’Instruction. (Une cinquantaine de femmes s'est manifestée au total, mais beaucoup n'ont pas pu porter plainte car les faits reprochés sont frappés de prescription).
Laissé donc libre pendant cette instruction, G. T. tombe dans le piège que lui tendent des anciennes patientes déterminées. L'une d'elles a fait prendre un rendez-vous à une amie chez le médecin, qui accepte de la recevoir dans son cabinet du XVIe arrondissement. Le rendez- vous a bien lieu, mais, à la place de la cliente, c'est un couple de gendarmes en civil qui se présente. Dès lors, les jours de liberté de G.T. sont comptés. Il lui est reproché d'avoir enfreint le contrôle judiciaire Les gendarmes viennent le chercher à son domicile, et il est incarcéré le 29 janvier 2003 à la prison de Fresnes (Val-de-Marne).
Pas vraiment surpris, Me Claude Katz, l'avocat de six victimes présumées, constate que Gilbert Tordjman « a toujours évolué avec un profond sentiment d'impunité... Eu égard à la gravité des faits, n'importe quelle autre personne aurait déjà été incarcérée ». Déjà mis en examen sept fois pour viols et (ou) agressions sexuelles lors de consultations de patientes souffrant de troubles de la sexualité, le médecin est en passe de l'être dans huit autres cas.
Ces femmes sont-elles des affabulatrices, comme l'affirme Gilbert Tordjman ? La juge a fait réaliser des expertises psychologiques des victimes. Celles auxquelles le journal Le Point a pu avoir accès confirment qu'elles disent la vérité, et décrivent aussi les retentissements psychologiques subis. Pour Caroline, par exemple, « aucun élément de l'expertise ne met en évidence une tendance à la mise en scène ou à la fabulation. Son caractère influençable a permis la mise en place du processus de victimisation mais n'entache pas sa crédibilité ». En revanche, « le retentissement des faits subis est important : on note que la honte et la culpabilité vis-à-vis de ses difficultés sexuelles ont été exacerbées et non pas atténuées ».
Au total, la justice dispose de quarante plaintes de patientes, qui reprochent au médecin un comportement et des paroles ambigus et surtout d'avoir abusé d'elles. Ce que l'intéressé a d'ailleurs toujours nié. « Il a profité de sa notoriété et de son autorité », explique l'une de ses clientes, qui stigmatise « les silences de la profession et du Conseil de l'ordre, que nous avons pourtant alerté ».
La dernière « bêtise » du docteur Tordjman ne fait en tout cas pas l'affaire de son avocate, Me Florence GAUDILLIERE, qui est prête à reconnaître des « fautes professionnelles » chez son client mais en aucun cas des faits de viol. « Il explique qu'il n'a ni examiné ni prescrit, mais qu'il a reçu des gens pour les orienter. Il dit qu'il n'est plus médecin mais qu'il a bien le droit de recevoir des gens. Quand on est vieux et malade, qu'on souffre d'un cancer de l'estomac et de la prostate et qu'on a subi un double pontage coronarien, on n'a rien à faire en prison », poursuit l'avocate. Et elle fait appel de la décision d'incarcération.
« Le docteur Tordjman n'est pas libre de parler en raison de l'instruction en cours , explique Me Jacques-Georges BITOUN, son autre défenseur. Mais il est déterminé à se défendre, car aucun de ces témoignages ne tient la route. Ces femmes sont clairement des affabulatrices ou des folles. Le docteur Tordjman a examiné plus de 7 000 femmes dans sa carrière et même si sept d'entre elles portent plainte, ce n'est pas grave dans la mesure où elles avaient un lourd passé psychologique. Et puis on ne va quand même pas chez un sexologue pour lui montrer ses amygdales ! »
Le début du procès de Gilbert TORDJMAN est prévu le mardi 28 avril 2009 en Cour d’Assises, pour répondre de l'accusation de treize viols et d’une agression sexuelle entre 1992 et 2000.
Mais il décède à l’âge de 81 ans le 3 mars 2009 des suites d'un cancer et de la maladie de Parkinson, selon son avocate Me Florence GAUDILLIERE.
Cette disparition marque l'extinction de l'action publique
ARTICLES et SOURCES PRINCIPALES :
MEDFILM 29 octobre 2020
«Gilbert Tordjman»
LE POINT 19 janvier 2007 :
«La chute du pape de la sexologie»
Par François Malye, Philippe Houdart et Jérôme Vincent Publié le 09/08/2002 à 03:12 - Modifié le 19/01/2007 à 03:12
L’OBS 1° février 2003 :
«Gilbert Tordjman a été incarcéré» Publié le 01 février 2003 à 16h10
LE MONDE 26 décembre 2000 :
« Le sexologue Gilbert Tordjman accusé de gestes déplacés par une patiente »
Publié le 26 décembre 2000 à 14h18
LE PARISIEN – 25 Décembre 2000 :
«Les pratiques équivoques du sexologue vedette» Par Jean-Pierre Vialle Le 25 décembre 2000 à 00h00
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